Qui ne s’est jamais surpris à rechercher une info spécifique sur son smartphone ou son PC et y passer finalement plus de temps que prévu, voire chercher tout autre chose ? À scroller compulsivement du contenu sans grand intérêt pendant une pause au lieu de lire, discuter, aller prendre l’air ? À céder à des suggestions ou des publicités ciblées alors que l’on n’était pas à la recherche de ce produit ?
« Emprise », le mot est fort. Pourtant, ce n’est pas une métaphore. Dans une relation d’emprise, la personne perd progressivement son autonomie et son libre arbitre. Dans le cadre du numérique, cela se traduit par une influence forte sur :
– notre attention : les applications et les plateformes de réseaux sociaux la captent en créant un besoin et nous retiennent avec des notifications, des récompenses visuelles ou autres manœuvres cognitives sophistiquées ;
– nos habitudes de navigation en ligne : orientés par des algorithmes complexes et ultraprécis (recommandations, contenus personnalisés…) ;
– nos goûts : ce qu’on regarde, lit, écoute, consomme, est influencé par des systèmes de tri et de recommandation, qui ne sont pas neutres ;
– notre relation aux autres : on passerait plus de temps à interagir via les écrans plutôt que face à face ;
– notre façon de penser : les algorithmes rendent difficile l’accès à des informations diverses, contradictoires ou alternatives et alimentent nos biais cognitifs les plus défavorables à l’ouverture d’esprit et au raisonnement (au premier rang desquels, notre biais de confirmation) ;
– notre manière de s’informer : l’accès à des contenus non vérifiés et/ou de désinformation, couplés à de possibles fake news alimentées par l’IA, affaiblissent notre esprit critique et fragilisent le cadre démocratique du débat public.
Résultat : nous laissons petit à petit des systèmes automatisés orienter nos comportements.
À tout cela s’ajoute une dépendance quasi-systémique à ces nouvelles technologies tant le recours au numérique est devenu une norme et un passage obligé (acheter, réserver un rendez-vous médical, consulter ses comptes bancaires… de nombreuses démarches se font uniquement en ligne). Sans compter la dépendance fulgurante à l’IA à laquelle nous avons recours pour rechercher des infos rapidement, rédiger des textes, se faire expliquer des concepts… Cette course au gain de temps, à première vue gratuite, a un coût : la perte de connexions neuronales et l’affectation de la mémoire profonde, comme l’a annoncé l’étude du Massachusetts Institute of Technology publiée avant l’été.
Peut-on se passer des outils numériques aujourd’hui ? Difficilement, tant leurs usages sont omniprésents.
Mais y résister ne signifie pas les rejeter. Ce qui favorise la dépendance au numérique, c’est aussi notre passivité et la méconnaissance des mécanismes à l’œuvre. Résister, c’est reprendre la main sur notre environnement numérique : désactiver les notifications, limiter son temps d’écran, s’intéresser au fonctionnement d’Internet, à la protection de ses données personnelles, aux intérêts qui motivent les géants du numérique…
« S’intéresser au numérique, avant qu’il ne s’intéresse à nous » : cette phrase, relevée pendant nos recherches – mais dont, hélas, nous n’avons pas noté l’auteur·e (qu’il ou elle nous en excuse) – résume avec justesse l’enjeu central de ce dossier.
Bonne lecture et bonne rentrée !