Le rendez-vous du mois
Denise Heilbronn
Formée au paysagisme aux côtés de Gilles Clément et botaniste passionnée, Denise Heilbronn a fondé Au-delà des Racines en 2017. L’association œuvre pour le déploiement des espaces de forêts sanctuaires en France.
Tout d’abord, c’est quoi, une Forêt Sanctuaire® ? Et à quoi cela ressemble-t-il ?
C’est un concept de forêt à vocation de sépultures pour les cendres de défunts.
C’est un projet local au service de la protection des forêts, qui répond aux attentes environnementales des citoyens en protégeant les zones forestières concernées. Ce modèle permet de préserver les arbres de nos forêts en les laissant vivre et vieillir, au bénéfice des générations futures. Le temps des concessions permet à la forêt de retrouver une part de naturalité propice au maintien d’un écosystème optimal favorisant la biodiversité de la faune et de la flore.
C’est une solution funéraire égalitaire et inclusive, moins coûteuse que la création ou l’agrandissement d’un cimetière traditionnel, financée par l’attribution et le renouvellement des concessions. C’est aussi un mode de sépulture plus écologique, et un lieu de mémoire intergénérationnelle dans un cadre de nature propice au recueillement. Elle replace l’humain au cœur de ce qui fait son humanité.
En engageant les citoyens dans la transition sociétale et environnementale, la Forêt Sanctuaire® offre aux élus une nouvelle voie d’action au service de l’intérêt collectif. Il n’y a pas de forêt type : chaque Forêt Sanctuaire® a sa propre identité attachée à son territoire, à sa faune, à sa flore, et surtout à son histoire.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de créer cette association, unique en France ?
L’envie de protéger les arbres, de leur permettre de vieillir et d’agir en faveur de notre planète, en mettant en place de solutions fondées sur la nature, à la fois naturelles et universelles. En 2000, l’Allemagne a mis ce modèle en place sur l’ensemble de son territoire, et les exemples qu’elle fournit sont de vraies réussites, tant sur l’aspect environnemental que sociétal et économique.
Foyer de biodiversité et levier d’action climatique majeur, la forêt est au cœur de notre avenir : sa pérennité conditionne notre survie à tous.
Reposer en forêt, auprès d’un arbre, est-ce le souhait de nombreuses personnes ?
La nature est le premier lieu envisagé par les Français pour la dispersion des cendres, avec 34 % des préférences (source : Crédoc 2019). Ainsi, nos défunts protègent les arbres, et les arbres, en retour, les protègent de l’oubli.
Dans la nature, il y a des lois et règlements qui régissent la dispersion des cendres que beaucoup de citoyens ignorent. De plus, rien de pérenne n’identifie le lieu exact de dispersion et rien n’empêche ce lieu de devenir un parking ou un hangar… Et évidemment, l’identité du défunt n’est pas mentionnée, entraînant très rapidement une cassure dans la mémoire familiale. En cela aussi, la Forêt Sanctuaire® est utile !
Déjà plusieurs Forêts Sanctuaires® ont vu le jour dans le Bas-Rhin, en Alsace, tandis que d’autres sont en projet. Comment accompagnez-vous les communes et les citoyens désireux de bénéficier de cette solution ?
Au-delà des Racines est engagée dans une démarche citoyenne et écoresponsable. Elle vise notamment l’accompagnement et la création de forêts sanctuaires sur l’ensemble du territoire français. L’association intervient en soutien des communes et de citoyens soucieux d’agir en faveur de l’environnement.
Au-delà des Racines facilite d’un côté le déploiement de ces nouveaux lieux cinéraires respectueux de la nature, en conseillant les communes. De l’autre, elle favorise la préservation et le développement de nos forêts et de la biodiversité endémique.
Nous accompagnons les communes qui souhaitent développer ce modèle sur leur territoire. Nous les conseillons sur les aspects techniques, bien sûr, mais aussi sur les aspects règlementaires et économiques acquis au travers de nos recherches et de nos réalisations.
Y a-t-il une réglementation pour l’inhumation des urnes funéraires en dehors des cimétières ?
Oui, les lois sont précises et nous agissons dans le cadre des sites cinéraires isolés et dans le respect des défunts.
Ce mode funéraire pourrait-il répondre à plusieurs enjeux, dont la plupart sont d’ordre écologique ?
Pas seulement. Les enjeux écologiques et environnementaux sont, bien sûr, présents : climat, biodiversité – faune et flore –, protection physique des sols et des paysages, sans oublier la captation du carbone. La forêt est aussi le seul pourvoyeur d’humus de la planète – et sans sol, on ne cultive plus grand-chose. Nous avons beaucoup de choses à apprendre de ce monde végétal si méconnu du grand public.
Mais les enjeux sont aussi sociétaux : qualité de l’air et de l’eau, végétalisation indispensable pour abaisser les températures des zones urbaines, lutte contre l’artificialisation des sols – un domaine dans lequel la France détient un triste record européen. C’est aussi un modèle parfait pour réhabiliter les friches industrielles urbaines.
Les enjeux économiques concernent autant les communes que les citoyens. La création d’une Forêt Sanctuaire® coûte bien moins cher qu’un agrandissement, même minime, de cimetière. Et le succès du modèle est tel que, pour les forêts déjà créées, les investissements sont « amortis » en moins d’un an.
Pour le citoyen, le gain majeur est une économie de pierre tombale, qui représente aussi un coût environnemental fort. Pas de fleurs, pas de couronnes, c’est la nature qui offre le décor !