Le rendez-vous du mois
Kevin Arquillo
Diplômé d’un master de communication politique, ce fils et petit-fils de restaurateurs a fait ses armes dans les cabinets ministériels et de conseil avant de revenir à ses premières amours : la restauration. En 2024, il fonde Zébi, le label Zéro Boisson industrielle.
Quelle est l’idée derrière le label Zébi ?
Elle part d’un double constat. Les lieux de vie (restaurants, bars, hôtels…) disposent d’une clientèle très éduquée sur la provenance des végétaux et des protéines. Ces clients connaissent la saisonnalité des légumes, différentes méthodes d’élevage, de pêche ou d’abattage. Malgré cette connaissance fine, ils se trouvent souvent démunis face à la provenance des boissons qu’ils vont consommer avec leur plat. D’un autre côté, nous avons des professionnels qui disposent d’un haut sens du détail : architecture d’intérieur soignée, choix des assiettes, réseaux sociaux, mais qui au moment de créer la carte des boissons peinent à trouver plus d’inspiration que la gamme classique et industrielle qu’on nous sert depuis 40 ans. L’idée du label est donc de mettre en lumière les transitions nécessaires dans le secteur des boissons et les établissements exemplaires.
En fait, en tant que consommateur, on a plutôt tendance à être moins vigilant sur la provenance des boissons ?
Absolument, et c’est d’ailleurs paradoxal lorsque l’on sait que les trois produits toutes catégories confondues les plus vendus en grande et moyenne surfaces en France sont la Cristaline, le Ricard et le Coca-Cola ! Là où on est extrêmement vigilant sur tout ce que l’on mange, on ne s’interroge jamais sur la composition de ce que l’on boit. Et c’est pourtant une source majeure d’ingrédients controversés, les récents débats sur la « taxe soda » ne font que nous le rappeler.
Entre la production, la logistique, le transport, l’emballage… quel est l’impact environnemental de l’industrie des boissons alcoolisées et non alcoolisées ?
Il est clairement variable. Il faut garder en tête que les boissons, ce sont avant tout des matières premières. Les spiritueux sont constitués principalement de céréales, souvent importées et souvent mal cultivées (pesticides, normes environnementales dégradées). Privilégier les boissons libres, c’est aussi privilégier des circuits courts et des approvisionnements raisonnés.
Pourquoi militez-vous pour que l’eau soit microfiltrée et gazéifiée sur place ?
Nous partons du principe que l’eau est un bien commun et que les pouvoirs publics investissent suffisamment dans son traitement pour qu’elle n’ait pas besoin de processus supplémentaires. Questionner notre rapport à l’eau, c’est malheureusement questionner notre rapport au marketing et à la publicité. Certaines eaux sont devenues des signes extérieurs de richesse, quand d’autres sont censées nous rajeunir. Nous voulons dire au consommateur qui, en terrasse à Paris, commande un demi d’eau pétillante Dolce Vita pompée et traitée à 800 km dans les Alpes italiennes que cette eau ne va pas mieux le désaltérer qu’une autre. Elle participe juste à la constitution de son éthos. Des solutions existent pour traiter l’eau sur place, et la proposer dans des bouteilles « nues » est ce que nous souhaitons favoriser.
On n’y pense pas au premier abord, mais vous alertez aussi sur le poids des caisses de boissons industrielles et la conséquence physique sur le dos des livreurs et des serveur·ses de brasseries. N’est-ce pas aussi le cas lorsqu’il s’agit de caisses de boissons artisanales ?
Effectivement ! L’hégémonie de la gamme classique de boissons industrielles pose aussi des problèmes de stockage et de transport dans des caves souvent exiguës et dangereuses d’accès. On assiste à des scènes où des livreurs de grandes brasseries se cassent le dos à livrer les softs, les alcools, les sirops et les fûts de bière dans un même temps et un même lieu, enchaînant parfois plusieurs établissements. Revenir à des boissons plus libres et artisanales, c’est également remettre en question le rapport au monopole. Prendre soin de son sourcing, c’est démultiplier les offres et les fournisseurs et étaler les livraisons dans la semaine, ce qui a pour effet de limiter le port de charges lourdes notamment.
Il y a clairement un problème dans l’offre de boissons sans alcool : peu de choix, trop sucrées, trop chères par rapport aux boissons avec alcool… Comment Zébi accompagne-t-il la restauration à ce niveau-là ?
Les choses sont en train de changer ! Des marques de néo-sodas naissent chaque jour avec des créateurs soucieux de la santé et de l’environnement. Kombucha, ginger-beer, limonade artisanale, schorle ou thé glacé… Il y en a pour tous les goûts !
Dans le domaine des boissons, la France possède un riche patrimoine culturel. Elle regorge de producteurs, créateurs, brasseurs… Plutôt que de désindustrialiser, vous appelez à réartisanaliser les cartes des boissons.
C’est le cas ! À travers cette démarche, nous ne souhaitons pas proposer une écologie punitive et culpabilisante, mais au contraire une écologie positive. Si on prend l’exemple de la bière, 15 références tout au plus se partageaient le marché dans les années 2000. Aujourd’hui, chaque ville, chaque quartier dispose d’une microbrasserie. Certes, toutes n’ont pas les mêmes exigences environnementales et sociétales, mais nous voyons cela d’un bon œil : chacune de ces entreprises apporte une nouvelle manière de repenser son rapport au circuit court et à une production plus responsable !