Le rendez-vous du mois
Chloé Gerbier
Chloé est juriste de formation, spécialisée en droit de l’environnement. En 2021, elle cofonde l’association Terres de luttes avec Victor Vauquois. Depuis, l’association lutte quotidiennement contre les projets imposés et polluants.
Terres de luttes soutient les collectifs en lutte contre la bétonisation des terres et les grands projets polluants en France. Quel est son objectif ?
Malgré certains engagements politiques autour d’une baisse drastique de l’artificialisation des terres, une douzaine d’extensions d’aéroports, au moins 52 nouvelles autoroutes et déviations routières, des dizaines de fermes-usines, de mégabassines, de centres commerciaux et près de 600 projets du même ordre sont toujours en prévision pour les mois et les années à venir. Des projets absolument incompatibles avec les impératifs écologiques, dont l’addition représente des dégâts effarants et qui sont malheureusement loin d’être isolés.
Heureusement, la riposte est loin d’être isolée elle aussi ! Localement, la mobilisation citoyenne est plus vive que jamais. Après plusieurs mises à jour et travaux de recherches, nous avons identifié avec le média Reporterre plus de 600 luttes locales, de collectifs d’habitant·es qui se battent concrètement un peu partout contre ces projets.
L’objectif de Terres de luttes est de soutenir ces collectifs en lutte, de créer du lien entre eux et de favoriser leur rencontre pour amplifier leur combat et faciliter leurs victoires.
Nous mettons en place des formations, de l’accompagnement, des événements rassemblant plusieurs milliers de personnes – comme Les Résistantes –, ainsi que des structures collectives de financement, telles que le Fonds des luttes (https://fondsdesluttes.fr).
Qui sont ces collectifs et les militant·es qui les composent ?
Les personnes mobilisées sont avant tout des citoyen·nes, des habitant·es, des riverain·es. C’est ainsi qu’ils et elles se décrivent lorsqu’on les interroge. En étant souvent directement concerné·es, ils et elles voient leur santé, leur vie, leur patrimoine, leur environnement immédiat menacé, ce qui les pousse à s’engager avec d’autant plus d’énergie dans leurs batailles. C’est aussi et souvent pour être entendus que ces collectifs se lancent, face au déni de démocratie de ces projets qui passent en force et ignorent les réticences de la population.
Et ces collectifs sont très hétéroclites : on y trouve des jeunes, des vieux, des militants de longue date et d’autres complètement nouveaux, toutes professions confondues ou presque, qui apprennent à travailler ensemble pour préserver leur territoire.
Terres de luttes a conduit une enquête sociologique recensant 162 victoires des luttes locales sur 2014-2024 contre les grands projets inutiles et imposés (GPII) dans toute la France et toutes les industries. Quels enseignements peut-on tirer de ces victoires ?
Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il n’existe pas de recette de la victoire. Les collectifs que nous avons rencontrés ont tous multiplié les moyens d’action : communication, formation, structuration, mobilisation, plaidoyer, pédagogie, recours juridiques… La diversité de ces leviers est directement liée aux alliances multiples qui ont été créées par ces groupes issus d’horizons divers. Ce qui constitue un facteur déterminant de la victoire, c’est la manière dont les collectifs ont utilisé ces différents leviers à des moments clés et comment ils les ont synchronisés. Et dans toutes ces batailles gagnées, on retrouve beaucoup de détermination, de temps, une forte attention portée à l’inclusivité et aux bonnes relations dans le collectif, ou encore une grande expertise citoyenne acquise avec le temps !
En combien de temps une victoire est-elle obtenue ?
En moyenne, nous avons observé que les luttes étudiées gagnent au bout de sept ans. Avec des victoires éclair en six mois… et d’autres au bout de plusieurs décennies, comme Notre-Dame-des-Landes !
En juin 2024, vous avez publié une carte participative des résistances locales contre l’extrême droite, puis se sont ensuivis des webinaires « Territoires en Résistances », qui visent à s’entraider à contrer ces idées dans les territoires ruraux où elles deviennent majoritaires. Accompagner ces résistances, est-ce une nouvelle stratégie du collectif ?
La dissolution de l’Assemblée nationale a profondément bouleversé notre agenda, tout en nous faisant prendre conscience de l’importance des luttes avec lesquelles nous travaillons quotidiennement dans la lutte contre l’extrême droite.
Ce n’est en effet pas un hasard : les projets polluants et imposés contre lesquels nous nous battons s’implantent le plus souvent dans des territoires ruraux, peu peuplés, où les tissus associatifs et militants sont moins forts, avec la volonté souvent consciente d’éviter toute opposition. Et ces territoires sont globalement souvent les mêmes que ceux où l’extrême droite fait des scores écrasants pour de multiples raisons, mais notamment celle du sentiment d’abandon et de mépris des élites urbaines.
Nous pensons que ces luttes locales sont à même de reconstruire des paroles et des stratégies politiques au sein des territoires où les voix en faveur de la justice sociale, de l’écologie et du climat sont peu présentes, notamment en milieu rural. Le 11 juin dernier, nous avons publié une tribune sur Reporterre dans cette optique, afin de fédérer et soutenir des initiatives de mobilisation souvent isolées, dans l’éventualité d’une arrivée de l’extrême droite au gouvernement.