Le rendez-vous du mois

Perrine Dulac

Perrine Dulac a travaillé pendant 20 ans à la LPO-Vendée (Ligue pour la protection des oiseaux), dans le Marais breton, où est né le projet Paysans de nature et où le groupe local a permis l’installation d’une quinzaine de paysannes et paysans en 10 ans. Co-auteure du livre Paysans de nature paru en 2018 chez Delachaux et Niestlé, cofondatrice de l’association nationale, elle en est actuellement la secrétaire.

Paysans de nature a pour vocation d’aménager des espaces de biodiversité tout en soutenant l’installation paysanne. Un double objectif, dont les enjeux sont bel et bien liés ?

Oui, les deux enjeux sont liés : d’une part la biodiversité subit un déclin plus important dans les zones agricoles qu’ailleurs, et d’autre part la moitié des agricultrices et agriculteurs qui vont partir à la retraite dans les 10 ans à venir ne seront pas remplacés.

L’installation de paysannes et paysans qui laissent de la place au vivant sauvage dans leur ferme est donc primordiale, à la fois pour la biodiversité et pour la vie sociale des territoires.

Ce projet est né, à la base, de l’expérience de plusieurs professionnels de l’environnement qui ont décidé de s’installer comme paysans pour protéger la nature… une jolie référence au nom de l’association, Paysans « de nature » !

Le nom a été inventé par Frédéric Signoret (cofondateur de l’association), qui a travaillé dans une association de protection de la nature avant de devenir éleveur en 2003. Devenir paysan était pour lui un moyen de créer son propre espace naturel. Ils et elles sont nombreuses en France à avoir fait cette démarche, et beaucoup d’autres sont en train de s’installer !

Créer de « nouveaux espaces naturels agricoles », cela consiste en quoi, exactement ?

Il s’agit pour nous d’inventer une nouvelle forme d’espace naturel, en zone agricole et en complément des outils institutionnels qui existent déjà (réserves et parcs naturels, espaces naturels sensibles…), par l’installation paysanne de personnes soucieuses du vivant sauvage sous toutes ses formes. Ces fermes sont des espaces à vocation à la fois agricole et naturelle. La biodiversité préoccupe ces paysannes et paysans de nature autant que le fait de nourrir correctement leurs concitoyens et de leur apporter un revenu. Et laisser de la place au vivant ne veut pas seulement dire créer des mares, conserver des zones humides ou planter des haies. C’est aussi réfléchir à des techniques agricoles et à leurs impacts (par exemple la pression de pâturage, les surfaces de fauche, l’utilisation du pétrole, les traitements vétérinaires…).

Et nous faisons le pari qu’il est plus rapide d’installer des paysannes et paysans que de créer une nouvelle réserve naturelle, même si les réserves restent tout à fait utiles ! D’ailleurs, un certain nombre d’éleveuses et éleveurs du réseau ont de la surface agricole dans des réserves ou d’autres espaces naturels, et sont des partenaires pour les gestionnaires (fauche, pâturage, mais aussi accueil du public…).

Concrètement, ces installations sont favorisées par l’action des groupes locaux Paysans de nature, composés de paysannes et paysans déjà installés, de naturalistes, d’autres habitantes et habitants du territoire.

Comment donner envie d’agriculture et faire venir des gens extérieurs au milieu ?

Nous accueillons beaucoup de publics dans les fermes du réseau, notamment pour montrer que l’agriculture est l’une des voies professionnelles de la protection de la nature. Les paysannes et paysans du réseau reçoivent des groupes d’étudiantes et d’étudiants, des stagiaires de divers profils (parmi lesquels des étudiantes et étudiants en conservation de la biodiversité), mais aussi du grand public lors de marchés, ventes à la ferme, sorties nature, fêtes…

Toutes les occasions conviviales sont mises à profit pour parler du lien entre agriculture et biodiversité.

Paysans de nature, né en Pays de la Loire, voit désormais émerger des groupes locaux ici et là en France. Avec quels outils les fédérer et les former ?

En Pays de la Loire, le réseau LPO et les groupes locaux de paysans et de citoyens, qui ont développé le projet pendant plusieurs années avant la création de l’association nationale, ont créé un certain nombre d’outils (veille foncière, organisation d’évènements, mise en lien des acteurs territoriaux, dialogue, mobilisation financière). Ces outils seront mis à disposition des groupes qui le souhaitent : nous avons développé un programme de formation d’une ou deux journées, à destination des gestionnaires d’espaces naturels, des agricultrices, agriculteurs, des citoyennes et citoyens. Le Dialogue permanent pour la nature, outil participatif de visite de ferme qui associe les paysannes, paysans, citoyennes, citoyens et les naturalistes, y est particulièrement abordé.

Tous les paysans de nature sont-ils bio ?

Les fermes qui entrent dans le réseau signent une charte dans laquelle ils s’engagent à ne pas utiliser de biocides. En effet, nous considérons que laisser de la place au vivant passe d’abord par l’abandon de ces biocides.

De ce fait, même si la labellisation n’est pas obligatoire, la quasi-totalité des fermes du réseau sont certifiées AB, Nature et Progrès, Demeter, Simples.

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Perrine Dulac

co-fondatrice et secrétaire de l'association Paysans de nature

infos : www.paysansdenature.fr