Le rendez-vous du mois
Myriam Joly
Myriam Joly a créé l’entreprise textile Atelier MISSEGLE en 1984 (55 salariés à ce jour) qui fabrique des pulls, des chaussettes et des accessoires en matières naturelles dans des modèles intemporels vendus en direct, à distance (www.missegle.com) ou dans l’atelier à Burlats, aux portes de Castres (Tarn). Elle est également membre de La Voie est Libre, un collectif mobilisé contre l’autoroute A69 Castres-Toulouse.
Vos engagements permanents ont tout naturellement conduit votre entreprise, Atelier MISSEGLE, à être corequérant dans la demande d’annulation de l’Autorisation environnementale de l’A69. Pourquoi ?
Depuis le début, je porte une attention particulière à la limitation de notre impact sur les ressources de la planète, à la revalorisation du travail manuel, à la transmission des savoir-faire et au développement de l’emploi local : « Volem viure al país » (Nous voulons vivre au pays).
Chaque jour, je suis attachée à démontrer que nos zones rurales ne sont pas des territoires périphériques ayant un besoin vital d’être reliés en temps réel à une métropole. Nous créons des écosystèmes résilients portés par la volonté de femmes et d’hommes soucieux de participer au devenir d’une société où l’humain et la nature sont respectés. Du bon sens comme toujours, et nous en sommes fiers.
Le collectif populaire La Voie est Libre dont vous faites partie s’oppose depuis presque deux ans à l’autoroute A69 entre Castres et Toulouse. Pourquoi ce projet est-il écocidaire ?
Il l’est, comme tous les projets de cette dimension : artificialisation de terres agricoles, destruction de zones humides et d’espèces protégées… Mais il est surtout inutile et antiéconomique : 8 500 véhicules par jour annoncés par le concessionnaire, 3 500 au mieux d’après l’analyse des chiffres de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement. Or la moyenne du nombre de voitures en France sur les autoroutes est de 28 000 par jour et le COI (Conseil d’orientation des infrastructures) en janvier 2023 a statué contre les deux fois deux-voies comptant moins de 10 000 voitures par jour. Qui paiera le déficit ?
Ce projet est aussi injuste socialement. Les principaux aménagements faits sur la RN126 qui concernent les déviations de Soual et de Puylaurens seront privatisés et nous devrons soit payer un péage annoncé comme l’un des plus chers de France, soit emprunter l’ancienne nationale qui sera dégradée et repassera par les villages de Soual et Puylaurens, avec toutes les conséquences sur la sécurité et la santé…
De plus, le département du Tarn a voté une enveloppe de 27 millions d’euros pour sécuriser tous les villages qui seront concernés par les reports de circulation. Ce sont encore nos impôts qui sont mis à contribution.
De nombreuses entreprises soutiennent le chantier, mais ce n’est pas le cas de MISSEGLE. Vous avez même adressé un courrier à tous vos clients pour expliquer votre refus de l’autoroute. Aménager la voirie aurait pourtant pu permettre une fluidité dans vos imports/exports…
De nombreuses entreprises ne sont pas pour le projet mais ne s’expriment pas, seulement 539 ont répondu positivement au courriel envoyé par la Chambre de commerce et d’industrie aux 13 000 entreprises tarnaises.
Je crois que nous sommes imprégnés d’une doxa (« On ne peut pas vivre dans les arrière-pays »), et que c’est au nom de celle-ci que les « hauts cadres », les médecins de l’hôpital et nous y compris, devons relier au plus vite la métropole si nous voulons avoir une vie « moderne ».
L’argument absolument fallacieux de la santé est un autre exemple : gagner quelques minutes pour sauver des vies ! Il a parfaitement été démonté par une tribune de médecins tarnais : il y a les hélicoptères pour les cas d’urgence et le travail en lien étroit entre l’hôpital de Castres et les hôpitaux toulousains.
La direction de l’hôpital de Castres prétend qu’une autoroute favorisera l’arrivée de médecins, or même Toulouse et ses environs en manquent actuellement : une utopie !
Nous avons, en tant qu’entreprise engagée pour notre territoire, financé, grâce à la vente de nos masques, l’équipement en automates pour les analyses PCR des hôpitaux de Castres et Albi en 2020, un exemple du rôle sociétal de l’entreprise. C’est à ce développement économique que je crois, lié à l’envie des femmes et des hommes du territoire de le faire vivre en irriguant les activités sociales, culturelles et sportives. Alors, gagner 15 minutes pour aller à Toulouse, surtout en arrivant sur la rocade de Toulouse qui est régulièrement saturée, quel intérêt ? En revanche, payer le péage plus de 60 euros aller-retour pour les camions, cela va avoir un impact négatif.
Récemment, l’Office national de la biodiversité a confirmé avoir observé un castor à proximité du chantier. Est-ce que sa présence pourrait être un élément de plus pour faire barrage à l’avancée du chantier ?
C’est certainement un élément de plus pour les opposants, mais les élus balayeront cet obstacle, comme ils l’ont fait pour tant d’autres. Ce chantier est, aux dires des agents de l’Office français de la biodiversité, le chantier sur lequel le plus d’infractions concernant l’eau et les espèces protégées sont relevées : 34 rapports de manquement administratif, 13 mises en demeure.
Le collectif attend avec impatience l’audience du recours au fond, le 18 février, dont l’objet est la suppression de l’autorisation environnementale de l’A69. Elle marquerait définitivement la fin des travaux, sans possibilité de retour en arrière ?
Si la juge suit les conclusions de la rapporteuse publique, le chantier sera stoppé. Mais il ne serait que suspensif si Atosca, le constructeur autoroutier, va en appel et ne demande pas ou n’obtient pas de dérogation pour poursuivre les travaux malgré tout. Il faut s’attendre à tout de leur part pour passer en force anti-démocratiquement.