Le rendez-vous du mois

Alain Pacherie

Vous avez mis fin aux spectacles d’animaux de cirque. Qu’est-ce qui vous a motivé à arrêter ce type de divertissement ?

Ma décision, à l’époque, ne reposait pas sur une position idéologique. Souvenez-vous, en ce temps-là, le débat portait sur les mauvais traitements infligés aux animaux dans les cirques. J’accueillais des numéros de dressage trois mois par an et veillais à ce que leurs conditions de vie soient optimales.

J’avais d’ailleurs fait fabriquer des cages deux fois plus grandes que celles imposées par la législation. Un vétérinaire spécialiste de la faune sauvage était présent pour assurer les soins quotidiens des animaux et, mon cirque étant sédentaire, les animaux ne subissaient pas les déplacements répétés.

Pour autant, à chaque représentation, j’étais gêné par le numéro d’un ourson acrobate sur un cheval lancé au triple galop. Bien qu’à cette époque, ce numéro remportait un succès énorme auprès du public, à la fin de la saison, je décidais de renoncer définitivement aux numéros d’animaux sauvages et domestiques dans mes créations.

Parlez-nous des conditions de vie et de travail des animaux de cirque. Peut-on les assimiler à de la maltraitance ?

L’idée de maltraitance est subjective et ne permet pas d’atteindre un consensus entre les différentes parties qui campaient respectivement sur leurs positions. Plus tard, la question fut abordée non plus sous l’angle des mauvais traitements infligés aux animaux dans les cirques, mais par le prisme de la pertinence du fait de les utiliser pour divertir les hommes.

Je me félicitais donc d’être le premier directeur de cirque au monde à avoir mis fin à ces numéros avant même que le sujet ne prenne la tournure que nous avons connue ces dernières années.

On entend souvent qu’on ne peut maltraiter des animaux que l’on aime. Cet argument tient-il la route ?

Comment répondre de manière manichéenne à cette question. Les uns vous diront que posséder des lions est une véritable abnégation. Pas de week-end, de vacances, des frais élevés, un engagement total. On peut donc considérer que de tels sacrifices impliquent d’aimer les animaux. Les autres diront que ces arguments se heurtent à la détention de ces mêmes animaux en cage, au travail forcé, aux déplacements fréquents… Encore une fois, pour trancher et amener les cirques à opérer cette révolution, il aura fallu élever le débat.

Par quoi avez-vous remplacé ces numéros ?

J’ai fait fabriquer des marionnettes géantes : des lions, gorilles, éléphants, girafes, oiseaux exotiques… de manière à répondre à la nostalgie des parents et grands-parents du cirque de leur jeunesse et satisfaire aux attentes des nouvelles générations. Là encore, c’est le consensus qui permet l’évolution constructive.

J’ai choisi de faire de grands spectacles vivants en soignant particulièrement les lumières, en créant un tableau pour chaque numéro et en étant exigeant sur leurs qualités des numéros qu’ils soient acrobatiques ou burlesques. Cette formule a convaincu puisque nous recevons plus de 300 000 spectateurs par an au Cirque Phénix !

Les villes soutiennent-elles les cirques qui suivent votre démarche ? Quel accueil leur réservent-elles ?

C’est là tout le paradoxe. Quand en 2003, j’ai mis fin à ces numéros, je perdais l’année suivante 50 % de la fréquentation du public du Phénix au motif qu’un cirque sans animaux n’était pas un cirque.

Aujourd’hui à l’inverse, on voudrait que tous les cirques suppriment dès à présent les animaux de leurs spectacles ; mais une loi votée au Parlement le 25 novembre 2021 a donné aux cirques un délai de sept ans pour supprimer leurs animaux sauvages et modifier leurs spectacles.

Racontez-nous à quoi ressemblera votre prochain spectacle.

Ma vision est celle d’un cirque qui se renouvelle sans cesse. Je n’ai pas baptisé mon cirque « Phénix » par hasard ! À chaque nouvelle saison, une nouvelle proposition artistique. Dans mes spectacles, il y a beaucoup d’acrobaties bien sûr ; mais aussi de la danse, de la comédie et de la musique. Ma façon d’envisager le cirque en fait un champ d’explorations aussi excitant qu’inépuisable !

L’année dernière, je mettais en piste 40 divas, acrobates et musiciennes dans mon spectacle Gaïa. C’était du jamais-vu dans le monde du cirque ; un pari à la fois « audacieux et périlleux », m’a-t-on dit… Je n’ai jamais regretté aucun des risques que j’ai pris à vrai dire, bien au contraire. D’ailleurs, mon goût pour l’acrobatie vient sans aucun doute d’un certain goût du risque en général. C’est comme ça, je ne suis pas quelqu’un de frileux. Cela explique aussi, en partie, pourquoi j’ai été un précurseur du cirque sans animaux, malgré tous les risques financiers certains que j’encourais.

À l’automne prochain, mon cirque fera la part belle à la musique. Vous savez, j’ai démarré ma carrière en tant que producteur de musique. Ce spectacle réunit donc deux passions auxquelles j’ai consacré toute mon existence ! C’est un spectacle très important pour moi. Le Phénix renaîtra sous des atours pop rock avec Rhapsodie !