déchets nucléaires à Bure - pourquoi la décision du Conseil constitutionnel pourrait faire date

Réaction et analyse de Emilie Gaillard, spécialiste en droit des générations futures à Science Po Rennes.

La décision du Conseil constitutionnel français concernant le stockage en couche géologique profonde des déchets radioactifs à Bure, rendue le 27 octobre 2023, pourrait marquer un tournant historique significatif dans la protection des générations futures en France. Emilie Gaillard, spécialisée dans le droit des générations futures et maîtresse de conférences en droit privé à Science Po Rennes, offre son analyse de cette décision sans précédent.

La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été initiée par 60 associations de défense de l’environnement, remettant en question la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution française de l’article L. 542-10-1 du Code de l’environnement, tel que modifié par la loi n° 2016-1015 du 25 juillet 2016. Cet article concerne les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue.

Selon les requérants, le droit à un environnement sain consacré à l’article 1er de la Charte de l’environnement devait être interprété à la lumière du concept de générations futures, énoncé dans le préambule de la Charte. Ils soutenaient que l’absence de réversibilité dans le stockage de déchets hautement radioactifs constituait une violation des droits des générations futures à un environnement sain, en contradiction avec les principes de solidarité et de fraternité entre les générations.

Le Conseil constitutionnel a décidé que l’article 1er de la Charte de l’environnement pouvait bien être interprété à la lumière du concept de générations futures. Cependant, la loi en question n’a pas été invalidée ni jugée inconstitutionnelle. Le Conseil a posé la règle selon laquelle il appartient au législateur de veiller à ne pas compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins et à préserver leur liberté de choix en matière environnementale. Cela peut néanmoins impliquer la mise en place de limites au droit constitutionnel de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, pour des motifs d’intérêt général et proportionnés (ce qui pourrait être discuté).

Emilie Gaillard commente : « Il y a effectivement une avancée majeure. Cette notion de générations futures existait déjà dans nos textes, mais on n’avait jamais interprété le ‘droit le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé’ au regard de cette notion. Ce lien qui a été fait, est une première en France. »

Emilie Gaillard propose deux lectures de cette décision à différents horizons temporels.

La première concerne directement l’affaire et met en lumière les préoccupations à court terme concernant la réversibilité du stockage des déchets radioactifs. La seconde ouvre des perspectives historiques pour le développement d’un droit des générations futures en France, à travers une lecture transgénérationnelle de la Charte de l’environnement.

Cette décision du Conseil constitutionnel pourrait également avoir des implications à plus long terme en permettant l’interprétation de l’ensemble des droits et devoirs à valeur constitutionnelle à la lumière du concept de générations futures. Cela pourrait marquer une étape significative dans l’évolution du contentieux constitutionnel (pas seulement environnemental) en France, établissant une base solide pour le déploiement du droit des générations futures dans le pays.

Agence Terre Majeure

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