Le rendez-vous du mois

Nicolas Turcev

Quelle est la raison d’être de Dernière Rénovation ?

La campagne Dernière Rénovation a été lancée en février 2022 avec l’objectif de générer des perturbations suffisamment importantes grâce aux méthodes d’action de la résistance civile pour contraindre le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour protéger sa population du dérèglement climatique. Dernière Rénovation propose à ce titre une mesure de justice sociale et climatique consensuelle, la rénovation thermique des bâtiments français. Le fait que le gouvernement reste sourd à notre ultimatum est en effet la raison qui nous pousse à continuer à nous mobiliser jour après jour.

12 millions de Français vivent actuellement en situation de précarité énergétique. Un chiffre qui risque de monter encore en flèche malgré le bouclier tarifaire de ce mois-ci, limitant la hausse du prix du gaz à 15 % ?

Ce n’est pas tant que le chiffre risque de monter mais plutôt qu’il stagne, alors que si l’on veut respecter les accords de Paris, et nos propres engagements en matière de réduction des gaz à effet de serre, il doit chuter drastiquement, et vite. Le gouvernement a mis en place un système de financement public des travaux de rénovation pour les particuliers, Maprimerénov’, mais celui-ci est inefficace. La Cour des comptes a étrillé par deux fois sa gestion calamiteuse par le gouvernement et l’efficacité de ce dispositif sous-doté en financement et compliqué à comprendre pour les particuliers. Il finance aux deux-tiers des monogestes (changement de chaudière la plupart du temps) qui n’ont que peu ou pas d’impact sur la performance énergétique du logement ; or on sait que pour rénover efficacement un bâtiment, il faut des travaux globaux qui prennent en compte l’isolation, l’étanchéité des toitures, les façades… Le gouvernement doit mettre l’argent nécessaire sur la table et mieux organiser le fléchage des fonds pour favoriser des rénovations globales. En 2021, seulement 2 500 passoires thermiques qui ont bénéficié des aides Maprimerénov’ ont connu un gain au diagnostic de performance énergétique. À ce rythme-là, on en a pour 1 900 ans… Pour l’instant, on gaspille de l’argent public mal distribué.

Dernière Rénovation est connue pour ses actions coups de poing, en bloquant les autoroutes ou les grands événements sportifs. On a tous en tête l’interruption début juin de la demi-finale hommes de Roland-Garros par la jeune activiste qui s’est attachée le cou au filet, abhorrant le tee-shirt « Il nous reste 1 028 jours ». Pour quelles retombées ?

Je ne sais pas exactement ce que vous voulez dire par « retombées » et si vous faites spécifiquement référence à cette action ou non. Mais dans tous les cas, il est certain que nos actions ont des retombées, tant en matière de mobilisation pour Dernière Rénovation que de prise de conscience de l’enjeu au niveau national. Nous étions une quinzaine de citoyens au tout départ, nous avons aujourd’hui plus de 500 citoyens formés, prêts à réaliser des actions perturbatrices dans les plus grandes villes de France. Et les retombées médiatiques sont certaines, surtout dans un contexte comme celui d’aujourd’hui avec la crise énergétique et l’inflation. On n’a jamais autant parlé des enjeux liés au logement et notamment de la rénovation des bâtiments, sujet qui restait jusqu’à récemment un peu obscur, seulement connu des initiés. Pourtant, le bâtiment, c’est 44 % de la consommation d’énergie du pays, ça nous concerne tous et c’est un puissant levier climatique.

La désobéissance civile est-elle vraiment, aujourd'hui, la seule issue pour se faire entendre ?

Force est de constater que c’est le cas, oui. En plus de 40 ans, nous avons tout essayé, les manifestations et marches pour le climat, les pétitions, les actions en justice, les rapports du GIEC, les différentes voies démocratiques comme les élections et la Convention citoyenne pour le climat, mais rien n’y fait, rien ne suffit. Le gouvernement reste sourd et se mure dans l’attentisme, comme si rien ne se passait. Cette attitude est criminelle quand on sait que ce qui nous attend si rien n’est fait est un monde de misère, de guerres et de famines à répétition où chacun devra se battre pour survivre. Rappelons que l’État a été condamné deux fois pour inaction climatique. Nous ne sommes pas hors la loi, le gouvernement l’est en revanche, et nous comptons bien le forcer à respecter les décisions de ses tribunaux.

On pense aussi aux actions militantes visant les œuvres d’art qui se multiplient, comme le lancer de soupe à la tomate sur Les Tournesols de Van Gogh. Que penser de l’efficacité de ces opérations, qui divisent ?

C’est très bien que ces actions divisent et fassent parler, il est grand temps que chaque citoyen soit confronté à la réalité de ce qui nous attend dans quelques années et décide ce qu’il souhaite faire en conséquence. Ce qui fait réagir les gens n’est pas tant le « sacrilège » de jeter de la soupe sur une peinture protégée par une vitre qui ne subira aucun dégât. C’est plutôt le fait qu’avec la couverture médiatique de ces actions, il n’est plus possible d’éviter le sujet et de faire comme si de rien n’était. Il est naturellement beaucoup plus confortable de vivre sa vie tranquillement, dans le confort d’une ignorance feinte facilitée par l’abrutissement de la société de consommation. Après tout, on ne demande que ça à Dernière Rénovation, que chacun puisse vivre sa vie tranquillement. Mais pour obtenir un avenir paisible et un monde vivable pour tous, à commencer par les personnes que l’on aime, il faut se battre. On ne pourra plus flâner dans les musées et profiter du génie humain si le monde est dévasté par le dérèglement climatique, c’est une évidence.