Après des études en droit européen et un mémoire sur l’application du protocole de Kyoto par l’Union européenne, Morgane Créach est entrée en 2005 au Réseau Action Climat-France, pour assurer le suivi des négociations européennes et internationales sur le climat et l’énergie. Elle est aujourd’hui directrice de cette fédération qui compte 25 associations membres.

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Morgane Créach

Le projet de loi Climat et Résilience fait beaucoup parler de lui. Voté le 29 juin par le Sénat, il est qualifié de « demi-teinte » par la scène médiatique. Pourquoi un tel scepticisme ?

Parce que ce projet de loi rate sa cible, à savoir permettre à la France d’atteindre une réduction d’au moins 40 % de ses émissions d’ici à 2030, et ce dans un esprit de justice sociale. L’ambition a été amoindrie par le gouvernement sur des enjeux majeurs comme l’interdiction de publicité des produits les plus polluants, la rénovation massive des logements, la vente de voitures faiblement émettrices de gaz à effet de serre, le développement massif du transport ferroviaire ou encore la réduction des engrais azotés dans l’agriculture et le soutien aux élevages de qualité. On est donc face à une occasion manquée. Procrastiner à ce point ne rendra que plus difficile et brutale la transition de certains secteurs qui doivent évoluer et qu’il faudrait dès aujourd’hui accompagner au lieu d’attendre d’être au pied du mur.

Le sujet de l’urgence climatique est sur la table depuis plus de 30 ans. Comment le Réseau Action Climat accompagne-t-il les politiques et sensibilise-t-il à la lutte contre le changement climatique ?

Concrètement, au Réseau Action Climat, on agit pour faire émerger des réglementations là où elles n’existent pas pour réduire les émissions de gaz à effet de serre des secteurs les plus responsables : transports, agriculture et alimentation, logement ou encore industrie. Nous proposons des solutions à ceux qui sont en capacité de décider : gouvernement, parlementaires mais aussi élus locaux et ce, de l’échelle internationale à l’échelle locale. Nos modes d’action sont variés et ont pour principal but d’interpeller les décideurs sur l’ampleur du défi et sur les solutions pour le relever. Nous fédérons 25 associations, ce qui nous permet de parler d’une seule voix et de pousser dans le même sens auprès des citoyens, des médias et des décideurs publics.

En février dernier, l’inaction climatique de l’État a été jugée illégale par le Tribunal administratif de Paris. Quelques mois après, une plainte a été déposée à la Cour de justice contre cinq ministres pour « inaction » climatique. Coups d’épée dans l’eau ou véritables victoires ?

C’est une véritable avancée, le juge prend sa part dans la lutte contre le changement climatique, au motif que la France ne respecte tout simplement pas les objectifs qu’elle s’est fixés à travers la loi. C’est ce que nous dénonçons depuis plusieurs années : à quoi bon conclure des accords internationaux et des lois si c’est pour ne pas les respecter ? Il y a un réel fossé entre les jalons qu’on se fixe et les moyens qu’on met en face pour les tenir. Cette carence de l’État est aujourd’hui officiellement reconnue. La responsabilité change de camp : ce n’est plus à nous de prouver que le compte n’y est pas, c’est au gouvernement d’agir pour combler le déficit de son action même s’il traîne des pieds comme en atteste la récente loi Climat et Résilience.

Dôme de chaleur au Canada, températures records pour les pays nordiques, incendies à Chypre, en Grèce, au Maroc… Quels sont les facteurs en jeu dans ces phénomènes ?

L’effet de serre est un phénomène naturel et vital car il permet de maintenir une température moyenne globale propice à la vie sur terre. Le problème, c’est l’excès de gaz à effet de serre produit depuis 150 ans par les activités humaines qui font que la température moyenne globale sur terre a augmenté. L’équilibre climatique naturel a donc été rompu, entraînant dans son sillon un certain nombre d’impacts tels que l’aggravation des événements météorologiques extrêmes, l’élévation moyen du niveau des mers, l’extension des maladies infectieuses vectorielles… Les impacts sur la biodiversité comme sur les humains sont considérables. L’une des conséquences les plus graves concerne le manque d’approvisionnement en eau douce et l’affectation du rendement des cultures, qui auront des effets notables sur l’augmentation de la malnutrition dans le monde.

La France pourrait-elle être touchée ?

Le changement climatique ne connaît pas de frontières mais a ceci de très injuste qu’il frappe plus durement les pays qui en sont les moins responsables et qui ont moins de moyens pour y faire face. La France n’est cependant pas à l’abri. Agriculture, tourisme, infrastructures énergétiques, plusieurs secteurs de notre économie sont visés. La fréquence des canicules va par ailleurs s’intensifier. Ces impacts ont un coût humain important, si on pense au nombre de décès liés à la canicule de 2003. Mais aussi un coût pour l’économie. Il suffit de se remémorer les impacts dévastateurs qu’a eu le gel tardif d’avril sur le secteur agricole pour s’en rendre compte et le Plan Gel qui s’en est suivi, à hauteur de 1 milliard d’euros pour compenser les pertes. Des politiques d’adaptation doivent donc être mises en place face à ces changements. Mais, concrètement, la meilleure façon de rendre notre société plus résiliente, c’est d’éviter que la machine climatique ne s’emballe et donc de réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre.