Le rendez-vous du mois

François Mandin

Malmenés par des techniques agricoles peu respectueuses de la vie, nos sols meurent à petit feu. De quoi souffrent-ils exactement ?

Les sols s’appauvrissent car ils sont travaillés par des machines agricoles (charrues notamment) qui abîment la structure des sols, détruisent les habitats de la biodiversité qu’ils hébergent. Les sols perdent donc petit à petit leur fertilité. Ils se retrouvent « à nu » et sont donc plus exposés aux fortes pluies (ce qui engendre de l’érosion et des coulées de boue sur les routes ou dans les rivières) et aux fortes chaleurs. Ils sont fragilisés, déstructurés.
La FAO estime que 33 % des sols sont aujourd’hui dégradés !

 

Un sol vivant constitue une ressource essentielle à préserver. Quels sont ses principales qualités ?

Un sol en bonne santé, c’est tout un écosystème qui se porte bien : des vers de terre, des champignons, des bactéries… C’est aussi un sol plus fertile, et donc assurant une alimentation en quantité et des revenus pour les agriculteurs. Un sol bien structuré, c’est un sol qui résistera mieux à l’érosion, captera plus de carbone (et donc limitera le réchauffement climatique). Préserver nos sols, c’est donc l’enjeu de tous !

 

Combien de temps faut-il pour régénérer un sol appauvri et par quelles techniques ?

Protéger nos sols agricoles, c’est d’abord très logiquement essayer de copier la nature !

L’agriculture de conservation des sols (ACS), que je pratique sur ma ferme depuis 15 ans, consiste à ne plus labourer les sols, à ne plus les travailler, même en surface. Nous avons revendu nos charrues et investi dans un matériel agricole spécifique (un semoir de semis direct) qui permet de semer les graines sans retourner le sol au préalable.

L’autre principe de cette agriculture, c’est de ne jamais laisser les sols nus. Et donc de semer, juste après la récolte de blé par exemple, un couvert végétal composé de différentes espèces de plantes. Ce couvert végétal, qui ne sera pas récolté mais laissé au sol, est une sorte de « chapeau » ou « parapluie » qui va protéger le sol et ses habitants et ainsi éviter l’érosion, les coulées de boue…

Le dernier principe de cette agriculture, c’est de diversifier au maximum les espèces cultivées : tout comme nous, humains, qui avons besoin d’une alimentation variée et diversifiée, le sol a besoin qu’on lui apporte des nutriments différents, à travers des plantes différentes. Nous allons donc varier les espèces cultivées. C’est plus compliqué pour nous agronomiquement mais aussi économiquement (on a besoin de trouver des débouchés pour toutes ces productions !).

À partir du moment où l’on met en place ces trois grands principes fondamentaux, le sol va progressivement retrouver sa fertilité. On peut le mesurer facilement en faisant des analyses de sol (la matière organique va très rapidement augmenter). On le mesure également grâce à la structure du sol, sa couleur (plus foncée), son odeur… Mais aussi en comptant le nombre de vers de terre (jusqu’à 8 fois plus qu’en agriculture avec un sol labouré !).

 

Quel écho rencontrez-vous auprès des agriculteurs conventionnels à travers vos animations, conférences, formations et suivis de projets ? Sont-ils prêts à une remise en question ?

Notre objectif, c’est d’accompagner les agriculteurs qui se questionnent afin qu’ils puissent se lancer dans cette agriculture en ayant toutes les connaissances possibles pour réussir. Cela se traduit concrètement par de la formation, des échanges entre agriculteurs : les « anciens » partagent leurs échecs et leurs réussites et permettent ainsi à ceux qui veulent se lancer de réduire les risques de la transition. Cet accompagnement est essentiel pour assurer la transition du plus grand nombre.

 

En quoi consiste votre label « Au cœur des sols » et sur quels critères l’attribuez-vous ?

Nous constations depuis plus de 20 ans au sein de l’association que nos efforts pour produire de façon plus durable n’étaient pas perçus par les citoyens et la société en général. Nous avons donc décidé de créer un label d’agriculteurs spécifique pour faire reconnaître ce mode de production innovant, avec le soutien du ministère de l’Agriculture.

Nous avons rédigé un référentiel qui respecte les fondements de l’agriculture de conservation des sols et y avons associé d’autres critères importants pour nous : se former, échanger en collectif, utiliser de façon raisonnée les produits phytosanitaires, introduire des nichoirs, des ruches…

Une fois audités, les agriculteurs sont labellisés « Au cœur des sols » et pourront, avec le soutien des entreprises ou des acteurs du territoire, être mieux rémunérés pour les services rendus : plus de carbone stocké dans les sols, plus de biodiversité, moins d’érosion…

Nous avons réalisé une étude qui montre que 68 % des sondés saluent ce label, car il répond aux attentes sociétales actuelles et permet de réconcilier agriculture et environnement, ce qui est attendu par plus de 85 % des citoyens